Poème peu connu de Colette
Colette, A Clères...
Matin, doux et calins, de ce mois de novembre
Ou la Seine, en rêvant sous un brouillard laiteux,
Semblait se prélasser dans sa robe de chambre
Pour s'offrir de Rouen, le cadre merveilleux,
En prenant le chemin qui monte vers la plaine,
Au travers des hameaux de silence engourdis,
Nous sommes venus voir de Clères, le domaine
Et son terrestre paradis !
Lentement, nous avons, foulant les feuilles mortes
qui jonchent les gazons de mille gouttes d'or,
Respiré l'air mutin que l'automne transporte,
Parcouru pas à pas, le splendide décor...
Ses sentiers ombragés luisaient comme des dalles,
Ses voutes de ramure, aux vousseaux alourdis,
Avaient la majesté des nobles cathédrales,
Dans ce terrestre paradis !
Alentour du chateau, nouvelle arche biblique,
Des êtres bigarrés, de tous les continents,
On ete rassemblés ainsi qu'en république,
Avec leurs moeurs, leurs jeux, curieux et prudents...
ET l'on peut contempler en pleine féerie,
La gazelle aux yeux bleus, par la crainte agrandis,
Ou du brun kangourou la drôle sauterie,
Dans ce terrestre paradis !
Grands oiseaux élégants, par la grâce des lignes,
Plumages chatoyants et roses des flamants,
Aquatiques ébats des canards et des cygnes
Sur la toile de fond des horizons normands,
Tout respire en ces lieux repos et quiétude.
Pour ces beaux exilés si loin de leur pays,
Du climat d'origine, ils ont pris l'habitude
Dans ce terrestre paradis !
Ces animaux venus des quatre coins du monde,
Vivent là, satisfait, calmes et tolérants,
Chez eux point de rancoeur dont les hommes s'inondent,
L'envie est méconnue au milieu de leurs rangs...
Du message divin, le parc est un exemple
Car le meurtre et la haine y restent interdits
Car la paix y demeure, immense comme au temple,
C'est le terrestre paradis !